Danico Xplorer : se concentrer sur les saveurs d’un pays

Le concept Danico Xplorer a été lancé en 2022.

Notre bar a toujours été axé sur les saveurs du monde, mais nous avons décidé de recentrer le projet pour avoir une ligne plus directrice. Cela a abouti à l'idée de proposer un menu avec un seul pays. Et pour être crédible, une partie de l’équipe voyage à chaque fois dans la nation en question. En résumé, c'est un menu qui dure six mois où l'on va retrouver les saveurs d'un même pays.

Danico

Cinq pays sont prévus, et l'on devrait vraisemblablement s’autoriser un sixième pays en bonus. Ensuite, on partira sur le même projet, mais avec des petites variantes.
 
Le choix des destinations a été plutôt simple jusqu’à présent.  Le premier pays était l'Indonésie, car c'est le favori de Nico de Soto, et que l'on a toujours eu cette culture autour du pandan – un produit indonésien - à Danico. C’est même devenu en quelque sorte un « running gag » et l'on continue d'utiliser le pandan même s'il ne se trouve pas partout dans le monde. Donc, dans chaque menu, il y a toujours au moins un cocktail adapté avec du pandan.

Quant au second menu, nous avons opté pour un pays situé de l'autre côté du globe, le Mexique, afin de disposer de saveurs très différentes de la précédente carte.

Le Japon s’est facilement imposé dans la liste. C'est une culture que l'on adore, qui parle à tout le monde, car elle est assez bien représentée dans les médias ou même dans la gastronomie à Paris.

Ensuite, en ce qui concerne les deux derniers pays, nous avions de grandes discussions. Il y avait un foisonnement d'idées et l’on a fini par trancher. L'Inde, cela coulait un peu de source: c'est une civilisation en Asie, mais très différente du Japon et de l'Indonésie.

Enfin, la cinquième destination est en discussion : on hésite entre l’Amérique du Sud et l’Afrique du Nord. En résumé, l’on choisit en fonction de nos propres affinités, mais aussi des contrées où les clients n'ont pas forcément l'habitude d'aller, ou de les découvrir de façon approfondie.

Préparation du menu : une charte et un voyage

Le menu change tous les six mois - c’est assez contraignant - donc une charte a été établie : nous proposons toujours deux Milk Punchs, deux ou trois cocktails secs ou amers, un Frozen, et des boissons servies sous forme de Highball.

Cela nous permet de cocher certaines cases au préalable, l’on sait que cela plaît à la clientèle tout en apportant de la diversité gustative. Ensuite, en termes de saveurs, je demande aux équipes de se renseigner un maximum avant d’entamer le voyage, pour qu’à notre retour, nous ayons des bases. Cependant, la phase sur place est à ce point enrichissante qu'il nous reste 80% du chemin à parcourir ensuite.

Concrètement, les séjours sont organisés par les marques sponsors des pays qui nous reçoivent, avec à la clé un guest shift dans un bar. Avec les établissements qui nous accueillent, nous organisons un itinéraire culturel autour de la nourriture, des temples… Tout ce qui peut se passer dans les villes, pour s'enrichir au maximum et comprendre la culture ; ne pas se concentrer uniquement sur la cuisine et les cocktails.

Cela nous importe, car Danico Xplorer raconte une authentique histoire autour d’un menu conçu comme un carnet de voyage. On ne souhaite pas juste réaliser des cocktails japonais, mais aussi comprendre la culture locale, comment tout cela est né, et forcément la nourriture, à la fin, vient se lier. C’est pourquoi nous sommes restés deux semaines et demie en Indonésie, dix jours au Mexique comme au Japon et, là, huit jours en Inde.

Étapes de création des recettes et implication de Nico de Soto

De notre séjour, on rapporte en général plusieurs d’ingrédients aux saveurs singulières, fruits de nos rencontres avec des fournisseurs sur place.

Par exemple, au Japon, nous avons noué des liens avec un Français importateur de produits qui nous fournit en sucre, sel et épices introuvables en France.

Nous revenons, donc, avec des produits, des notes et des idées. A partir de ce moment, tout le monde recherche ; on fait des testings collectifs et individuels assez régulièrement.

Au cours du processus de création, on imagine toutes les idées d’abord sans l'alcool. Il s’agit de créer des combinaisons de saveurs entre des plats ou des boissons typiques, des épices, des fruits, du pays choisi. Une fois cela posé sur papier, la question du choix de l’alcool idoine intervient. Bien sûr, il y a des exceptions où l’on sait tout de suite quel mariage sera harmonieux entre des saveurs et un type d’alcool. Mais en règle générale, on débute par la base de saveurs.

Nico de Soto nous laisse le champ libre pour créer des recettes et quand on est prêts, on fait un test avec lui. Il nous donne alors son avis, son expertise - parce que son palais est assez hors du commun, il faut le voir pour le croire. Mais, il nous fait confiance.

Je dirais en moyenne que Nico est l’auteur de quatre cocktails sur le menu : parfois, les drinks sont quasiment prêts à être réalisés, avec la recette au point, et à d’autres moments, il nous donne des combinaisons de saveurs et ce sera à nous de travailler autour. Les huit autres cocktails sont l’œuvre de l'équipe.

Ce qui est mis en valeur, ce sont les saveurs du cocktail dans leur ensemble et non d'un seul ingrédient ou l'alcool. Par exemple, dans le Zaru Soba - à la carte en ce moment - ce n'est pas uniquement le goût torréfié du shochu d’orge que nous mettons en avant, même si ce shochu a précisément été choisi pour ce goût singulier. C’est une ligne de crête très fine dont il faut avoir conscience.

Danico

Différences et challenges entre les menus et selon les pays

Le menu le plus compliqué a été l'Indonésie, car c'était la première fois que j'étais en charge d'un projet comme celui-ci. J'avais l'habitude de participer à des lancements de menu, au Danico ou lors de mes expériences précédentes, mais initier un tel projet, avec la charge de choisir le design - avec l'aide de ma graphiste -, de mettre en valeur les dessins et les couleurs était une expérience nouvelle. Il s’agissait d’élaborer un projet sur deux ans et demi, et en cas d’échec sur le premier menu, les quatre suivants risquaient d’être compromis.

En effet, comment travailler uniquement, les saveurs d'un seul et même pays ? Est-ce qu'on entre dans le cliché ? Évidemment non, donc il était nécessaire d’effectuer des recherches approfondies.

Mais il peut également y avoir des choses très simples dans certains pays, que l'on peut même retrouver en France. Dans ce cas, il convient de les travailler d’une autre manière pour que les clients soient étonnés.

Heureusement, ce premier menu a eu de bons retours, ce dont l’équipe était fière.

La mise en place globale du menu Indonésie a pris neuf mois. Mais la création, au sens strict, a duré six mois. Par la suite, cela a été plus simple. Le Mexique, a été assez rapide à concevoir, de même pour le Japon. Quant à l'Inde, on est plutôt en avance sur ce que l'on fait. Désormais, cela prend trois ou quatre mois, ce qui reste très long.

Selon moi, le menu actuel consacré au Japon est tout aussi bon, voire plus savoureux, que le Mexique ou l'Indonésie. En fait, il n'y a pas vraiment de différence. Je ne dirai pas qu'il y a un pays où il y a plus de saveurs que d'autres, elles sont simplement très différentes. Par exemple, la manière dont les Indiens travaillent les épices, c'est extraordinaire - et on ne le voit pas forcément ailleurs - alors qu'au Mexique, la cuisine est elle aussi très épicée, mais ce sont des types d'épices très diistinctes.

Coup d’œil sur les scènes cocktail japonaise et indienne

Il y a de tout au Japon : des lieux très classiques - comme on l’imagine - à l’image de High Five où des cinquantenaires confectionnent des classiques avec des automatismes, mais aussi d’autres types d’établissements.

On a eu la chance de faire SG Club, le bar de Shingo Gokan et c’est plutôt innovant, avec des pratiques que l’on a l’habitude de retrouver à travers le monde. Je pense aussi à The Bellwood, qui est également dans le 50 Best. Eux ont même une mini pièce au fond du bar où il y a un Omakase - un service de sushi à la pièce - avec un maître sushi devant toi. La scène là-bas est complète et je suis tombé amoureux de Tokyo.

En Inde, nous avons séjourné à Bangalore et Mumbai (NDLA : anciennement Bombay). Globalement, la culture du cocktail y est assez jeune, mais on était étonnés avec Jules Daudin, mon barman, car dans cette circonstance, en général, l’on trouve d’abord des établissements plus classiques pour se développer ensuite, mais les Indiens sont déjà dans des méthodes hyper poussées. Ils ne travaillent pas beaucoup avec des produits locaux, ou quand c’est le cas, ce n’est pas le thème du bar, ils ne mettent pas cela en avant.

Les bartenders sont tous des nationaux, car le salaire pour un barman est très bas, peut-être dix à douze fois moins qu’en France ; donc être expatrié n’a pas de sens, sauf peut-être en cas de grosse offre dans des établissements type hôtel. Dans les deux villes où nous étions, nous n’avons pas découvert de spiritueux inconnus en France. En revanche, nous avons goûté des produits en provenance de Goa qui s’appellent les Feni (NDLA : le seul spiritueux à bénéficier d’une IG en Inde). C’est un alcool, un peu comme une liqueur avec de nombreuses saveurs et, en général, le spiritueux est fait à base de noix coco ou de cajou.

Un menu thématique ne constitue pas l'ADN d'un bar

Je pense qu’il n’y a pas forcément besoin d’ un menu à thème pour être reconnu. D’ailleurs, il n’y a pas tant de bars à Paris qui en proposent. C’est toutefois une bonne idée d’avoir un thème : cela donne une ligne directrice et pour certains clients, c’est important. Mais, pour autant, ne pas en avoir ne me semble pas pénalisant.

Bar Nouveau, The Cambridge Public House ou Fréquence n’ont pas de menu à thème et pour moi, à l’heure actuelle, ils font partie des meilleurs bars de Paris.

Ce qui importe, c’est de retranscrire ce que l’on essaye de créer : les saveurs, les équilibres, l’adaptation, la flexibilité envers les clients. On a un menu, certes, mais il faut aussi savoir être flexible. A Danico, nous avons choisi d’avoir un thème, car nous disposions d’un concept principal : les saveurs autour du monde. Cependant, c’est vague, donc il convenait de recentrer l’idée et de la cadrer. Mais le thème n’est pas le plus important, ce n’est pas ce sur quoi les bars doivent se focaliser, ni les clients d’ailleurs.

L’ADN d’un bar se fait sur l’ensemble : la déco, l’équipe, les types de drinks que l’on va proposer. Les clients viennent à Danico pour les styles de cocktails, lesquels ne sont pas particulièrement différents de ce que nous faisions avant Xplorer : des clarifiés, des cocktails avec le Rotavap, des recettes avec des saveurs autour du monde et la recherche qui en découle.

Aujourd’hui, j’estime qu’au moins 85% de notre clientèle se distingue de celle du restaurant et vient uniquement pour le bar, alors qu’à mon arrivée en 2020, le ratio était de 50/50.

Corentin Gaudin - Danico, Paris

Un parcours fait de rencontres

J’ai fait l’école hôtelière à St Quentin-en-Yvelines et après mes trois ans de bac, je souhaitais m'orienter vers une mention barman - la dizaine ayant fait ce choix sur un millier d’élèves étaient un peu les stars du lycée - parce que c’était à la fois la création tout en parlant aux clients.

Cependant, j’ai failli arrêter en milieu d’année, car mon premier stage était dans un hôtel où l’on me faisait faire des cafés toute la journée en me disant que les cocktails n’étaient pas fait pour moi - je n’en avais pourtant jamais confectionnés. Mon professeur voulait me renvoyer dans le même établissement pour mon second stage, je lui ai expliqué qu'alors j'arrêterais la mention.

Dans l’attente d’une solution, les élèves étaient commis du Grand Prix Bacardi, remporté cette année-là par Jérôme Kaftandjian (NDLA : en 2015 pour le Park Hyatt Vendôme). Pendant la soirée, mon prof rencontre Aurélie Panhelleux, qu’il connaissait déjà - il y avait également Julien Lopez - et leur propose de me prendre en stage. Le courant passe rapidement entre nous, j'ai passé mes deux mois de stage au CopperBay et suis totalement tombé amoureux de ce monde du cocktail.

Après mon retour à l’école pour finir ma mention, j’ai débuté à Baton Rouge pour Joseph Biolatto pendant trois mois. Ensuite, j’ai travaillé dans un hôtel, mais également au Silencio – je faisais du sept jours sur sept – parce que je trouvais que le club était très beau. A l’époque, c’était très bien payé et le bar manager, Rob Mc Hardy, jouissait d'une vraie bonne réputation.

J’avais très envie de travailler là-bas, cela me plaisait et puis un jour, Julien Lopez – avec qui j’étais resté en contact très proche, car c’était mon rêve de travailler au CopperBay (je voudrais que cela soit bien inscrit dans l’article !) (NDLA : vœu exaucé ! 😉 ) m’a proposé de prendre le poste de barman vacant. Cela a duré quatre ans. Aurélie et Julien m’ont donné toutes les clés et appris à grandir, à être une meilleure personne, que cela soit dans le milieu ou dans la vie au quotidien. Je leur dois une reconnaissance éternelle, c’est vraiment grâce à eux que j’en suis là maintenant.

En 2020 je suis parti au Danico, recruté par Thibault Méquignon - alors sur le départ - et Guillaume Drouot, lequel avait besoin d’un barman. J’ai travaillé deux années intenses en sa compagnie, où j’ai beaucoup appris. Enfin, début 2022, Nico de Soto m’a proposé de prendre le poste libre de bar manager, parce que j’étais assistant de Guillaume et je me suis lancé.


Danico : 6, rue Vivienne 75002 Paris.
Ouvert tous les jours, de 18h à 2h du matin.

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